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Le logiciel libre, un enjeu de société

Publié le 30 Juin 2010 par winux in LOGICIELS LIBRES

GNU-Free-as-in-FreedomACTA, Hadopi, Dadvsi, Loppsi, ... Internet et le logiciel libre sont souvent au centre de ses enjeux. Mais de quels enjeux s’agit-il, au fait ? Et de quelles « libertés » est-il question ici ? Quelques clés pour comprendre.
Je voudrais ici susciter chez vous l’interrogation « Pourquoi le logiciel libre ? ». Est-ce mieux, si oui pourquoi ? Est-ce parce que c’est à la mode ? Ou que des gens en qui vous avez confiance vous ont prescrit que c’était bien ? Pour moi, le logiciel libre est un enjeu de société et j’avoue avoir envie de vous entraîner dans ma démarche.

Il me semble très important que chacun développe une réflexion sur la place du numérique dans notre société. Souvent, je vois passer des messages tels que celui-ci : « Je trouve ce logiciel pratique, c’est tout. » Je ne sais pas pour vous mais, personnellement, ça m’effraie. Pour moi, notre rapport au logiciel ne doit pas être seulement une question de « praticité », mais avant tout de liberté.

Mais de quelle liberté discutons-nous ici ? La liberté est un sujet majeur de société et ce au moins depuis le début de la civilisation occidentale. Je ne pense pas que c’est aux lecteurs assidus d’AgoraVox que je vais apprendre que nous ne sommes jamais totalement libres. Nous ne choisissons pas, par exemple, de recevoir telle ou telle éducation ; ou de naître dans un pays « démocratique », etc. En revanche, il semble extrêmement important que vos ordinateurs n’amputent pas votre liberté d’action. Car de plus en plus les ordinateurs sont partie intégrante de notre société ; de plus en plus c’est à travers de l’outil informatique que nous exerçons nos libertés dans la vie de tous les jours. En tant que citoyens, nous devrions être tout particulièrement sensibilisés à l’effet libérateur que peut avoir l’informatique ; et donc à l’importance d’en maîtriser l’usage. En effet, lorsque l’on peut communiquer d’un bout à l’autre de la planète en brûlant un minimum d’énergie, lorsque chacun peut disposer sur chaque machine de l’équivalent de la bibliothèque d’Alexandrie, l’informatique revêt un caractère libérateur. Nos ordinateurs sont en fait des assistants mécaniques à notre service et il est essentiel qu’ils le restent à l’avenir. Pourtant, nous sommes un peu à la croisée des chemins où l’informatique peut devenir extrêmement libératrice tout comme extrêmement liberticide, voire totalitaire. Nous avons des exemples de la vie quotidienne pour le prouver ; la politique actuelle d’Apple par exemple montre un florilège de restrictions, à un niveau de perfection rarement atteint. Mais quoi qu’il en soit, il faut garder à l’esprit que l’informatique sera ce que nous en ferons. Notre architecture informatique est à l’image des gens qui la conçoivent ; parallèlement, notre société de demain reposera intégralement sur cette architecture. Elle en sera le reflet de l’image.

Dans cette perspective, la liberté informatique est donc ni plus ni moins la liberté de contrôler le travail effectué par nos machines. En effet, le logiciel contrôle nos machines : liberté et logiciel sont alors indissociables. Et dans une société complètement assistée par des machines, qui elles mêmes sont contrôlées par le logiciel, la question de la liberté logicielle devient alors aussi importante que n’importe quelle question législative.

Cette conception a été très vite et très tôt formulée par le brillant professeur Lawrence Lessig dans Code is law (remarquez la date ... 10 ans déjà !) : « Ce n’est pas entre régulation et absence de régulation que nous avons à choisir. Le code régule. Il implémente — ou non — un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés ou les empêche. Il protège la vie privée ou promeut la surveillance. Des gens décident comment le code va se comporter. Des gens l’écrivent. La question n’est donc pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix — et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties — ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place. » Car dès à présent, c’est le code qui contrôle explicitement votre possibilité d’avoir accès, de lire ou partager n’importe quelle information numérique : actualité, musique, œuvres artistiques, etc. Des exemples très détaillés sont donnés dans les brillants ouvrages de Lawrence Lessig (Code and others laws of cyberspace) et Richard Stallman (Free software, Free society, ou « free » revendique la liberté, pas le prix !) ; en particulier dans le texte intitulé le droit de lire (paru en 1997 !).

La première liberté pour un utilisateur de logiciel est la liberté d’exécution. Vous devez avoir le droit d’exécuter le logiciel comme vous le souhaitez, pour n’importe quel usage, à tout moment et sans condition. Ça semble bête dit comme ça, mais en fait, en dehors des logiciels libres, rares sont les logiciels qui respectent pour de vrai cette liberté. Mais comme la plupart des gens ne lisent pas les licences, elles-mêmes rédigées dans le vocabulaire de la scolastique moderne, ils ne sont pas au courant des restrictions abusives souvent imposées par les logiciels privateurs.

Ceci étant, avec ou sans cette liberté vous n’êtes pas libres de contrôler l’exécution du logiciel sur votre machine. D’une part, le logiciel peut vous montrer des choses et en réaliser d’autres (l’espionnage est monnaie courante) ; d’autre part, vous êtes nécessairement limité par les fonctionnalités que le programmeur a décidé pour vous : si par exemple votre navigateur Internet ne gère pas la correction orthographique et que vous en avez besoin, vous n’avez à ce stade aucune possibilité d’y changer quoi que ce soit... Sauf à convaincre son programmeur d’ajouter cette possibilité.

Cette liberté est donc nécessaire, mais évidemment pas suffisante : je ne sais pas si vous avez déjà essayé de contacter Microsoft pour leur demander d’améliorer IE, mais l’expérience montre que ça ne débouche pas toujours sur quelque chose qui vous convient. D’ailleurs, IE, comme la plupart des logiciels privateurs ne respecte même pas cette première liberté.

La deuxième liberté, conséquence logique, est donc la possibilité d’étudier ce que fait le logiciel et de modifier son fonctionnement. De cette façon, vous pouvez parfaitement corriger la situation dénoncée plus haut. Pour pouvoir exercer cette liberté, vous avez alors besoin de pouvoir accéder à la recette du logiciel : en effet, un logiciel est généralement présenté soit en langage de programmation (source), soit en langage machine (code). On passe généralement de l’un à l’autre par une opération de traduction irréversible, comme lorsqu’on passe au four une recette de gâteau : une fois cuit, il est impossible de le « décuire ». De la même façon, le code qu’on fournit à nos machines est globalement incompréhensible pour n’importe quel programmeur. Nous avons donc besoin du code source pour exercer cette liberté.

Une autre liberté qui est importante est la liberté de faire des copies et donc d’aider votre voisin. Ce droit d’échanger les logiciels est en effet essentiel pour la collaboration des utilisateurs. Supposons par exemple qu’un ami vous demande une copie de votre logiciel. Quelle serait votre réaction : rompre votre amitié en refusant la copie ou rompre avec un contrat de licence abusif ? Comme toutes les personnes qui ont du respect pour leurs amis, votre choix sera probablement de faire la copie, et de ce fait innocent, rompre toute licence qui vous l’interdira. Mais il n’est jamais bon de rompre une licence, même pour faire plaisir à vos amis : il vaut mieux refuser d’utiliser et de promouvoir les logiciels qui vous interdisent de faire des copies et de les partager. Il vaut mieux utiliser des logiciels libres qui, eux, encouragent la copie et l’entraide. La troisième liberté du logiciel libre est donc la liberté de redistribuer des copies (y compris de les vendre : le libre est indifférent à la copie « commerciale » ; voir plus bas).

Il subsiste dans tout ça un petit blocage. Je ne sais pas pour vous, mais moi je ne suis pas informaticien. Je ne suis généralement pas capable d’exercer ma seconde liberté et j’avoue que pour tous les jours, en dehors de la première et de la troisième liberté, je ne me sens pas plus impliqué que cela car, de toute façon, je ne sais pas modifier le logiciel. Mais de la même façon, je ne sais pas réparer ma plomberie : lorsque j’ai un problème de chaudière, je fais appel à un spécialiste.

C’est là que rentre en jeu la quatrième et dernière liberté : la liberté, pour chacun, de distribuer des versions modifiées du logiciel. Grâce à cette liberté, je peux faire appel à n’importe qui pour exercer les droits garanties par la deuxième liberté, à savoir étude et modification. Grâce à cette liberté, chaque programmeur peut mettre à disposition de tous des améliorations du code et participer à la création d’un « pot commun » de logiciels.

Et c’est très important que cette liberté existe, même si je ne l’utilise que rarement ; car en tant qu’utilisateur, de la même façon que je peux choisir le plombier que je souhaite pour venir réparer ma chaudière, je peux alors négocier qui et dans quelles conditions pourra résoudre mon problème. Ça peut être le fruit d’une action bénévole tout comme un contrat réalisé par une entreprise... peu importe. Ce qui importe, c’est ma liberté de choix et le fait que je ne sois pas obligé de demander à un unique acteur de bien vouloir étudier ou modifier le logiciel à ma place. Un très bon contre-exemple est donné par Apple avec son iPhone : si vous souhaitez qu’une application logicielle fonctionne sur l’iPhone, vous êtes obligés de passer par Apple. Parfois ils autorisent — même lorsqu’il s’agit de promouvoir les discours de Mussolini. Mais parfois ils ne vous y autorisent pas — même lorsque ça met en cause la liberté d’expression individuelle. Ils ont en fin de compte le contrôle total sur l’utilisation que vous faites de votre téléphone et ils l’exercent quotidiennement. Et cette caractéristique n’est pas propre à Apple : elle se retrouve chez tous les grands (et petits) noms de l’industrie des logiciels privateurs (Microsoft, Adobe, etc.).

Ces 4 libertés ont été décrites par Richard Stallman au sein de la Free Software Foundation (FSF) au cours des années 1980, comme principes fondateurs du logiciel libre. Là où je veux attirer votre attention est que ces propositions de liberté ne sont pas sorties du chapeau : elles ont leur raison d’être, pour répondre à des problèmes pratiques rencontrés tous les jours. Et si une seule de ces quatre libertés manque à la licence d’un logiciel, il n’est pas assimilable à un logiciel libre, et vous empêche d’exercer vos libertés.

Ces 4 libertés ne sont pas non plus des obligations. Elle sont seulement là pour tenter de préserver un équilibre entre les auteurs de logiciels et leurs utilisateurs. Un parallèle dans ce sens se trouve dans la vie politique : personne parmi vous n’aura peut-être envie de se présenter comme maire à l’élection de sa commune. Mais tout le monde devrait être convaincu qu’il est fondamental pour l’équilibre de la société que chacun dispose de ce droit. Et un maximum d’internautes doit en être conscient. Les « libertés numériques », à la défense et la promotion desquelles participent la neutralité du Net et le logiciel libre, doivent être prises au sérieux dans une société de plus en plus gouvernée par le numérique.

En guise d’invite à poursuivre :



PS : Un grand merci à Malicia pour ses conseils avisés et la relecture de ce texte.

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